Y’avait longtemps que je n’avais pas présenté un bon vieux livre de S-F comme on les aime. Vous allez me dire qu’il y avait longtemps que je n’avais pas présenté de livre tout court, et vous aurez raison (et je m’en excuse, mais j’ai quelques soucis d’ordre professionnel en ce moment qui me prennent pas mal de mon temps, bref).
Bon, si vous lisez mes articles, vous avez entendu parler de Pixel, mon chat. Ce nom est finalement assez courant pour un félin domestique, et si je ne sais pas d’où les autres le sortent, je vais vous dire où moi je l’ai trouvé. Dans ce livre, là : Le chat passe-muraille, de Robert Heinlein. Vous connaissez ?
Le livre :
The Cat who walks through Walls, paru en 1985 et traduit en France en 1987 sous le titre Le chat passe-muraille est un des derniers romans de Heinlein, auteur extrêmement prolifique dans le secteur de la science fiction. Ce roman, l’image de l’oeuvre de son auteur, est fortement influencé par un passé imbibé de militarisme, d’intérêt marqué pour la conquête spatiale et les questions tournant autour du nucléaire. Aujourd’hui, vous le trouverez chez J’ai Lu, au format poche, pour une petite dizaine d’euros neuf et encore moins d’occasion.
L’auteur :
Robert Anson Heinlein est né dans le Missouri en 1907, et décédé n 1988. Il se lance dans l’écriture après une carrière prometteuse dans la Marine interrompue par la tuberculose (même s’il ne cessera jamais ses rapports avec l’armée, travaillant dans l’ingénierie civile pendant la Seconde guerre mondiale), puis quelques métiers divers et des tentatives en politique. C’est un des auteurs de science fiction les plus prolifiques de son temps, proche d’Asimov, auteur de nombreux romans, nouvelles, et même de deux essais (dont certains posthumes). Il a participé au film Destination… Lune !, a reçu en tout quatre prix Hugo du meilleur roman et, à titre posthume, trois prix Retro Hugo, ainsi que le premier prix Nebula Grand Master. Un cratère martien porte son nom.
Mon avis :
Sur la station spatiale de la Règle d’Or, le Colonel Campbell, retraité, ne songe qu’à mener une existence tranquille avec sa future épouse Hazel, lorsqu’un soir, dans un restaurant, un homme qui vient de lui demander d’assassiner quelqu’un est lui même abattu sous ses yeux. S’ensuit une poursuite invraisemblable, peuplée de situations plus absurdes les unes que les autres, qui conduira Campbell à travers le système solaire, toujours accompagné de sa femme, qui entre temps tente de lui expliquer qu’elle est un agent spacio-temporel multicentenaire, d’un chaton nommé Pixel (capable de traverser les murs car trop jeune pour comprendre que c’est impossible), et ce sans jamais perdre son pragmatisme.
Les raisons de l’acharnement dont il est victime ? Le futur a déjà archivé la mission capitale au cours de laquelle il s’est illustré (ou s’illustrera), liée à l’ordinateur Mycroft Holmes IV et à une manipulation du temps. Une version des archives précise par ailleurs qu’il est mort lors de cette mission…
Une lecture de cette œuvre au premier degré et sans recul va forcément vous prendre au dépourvu, et si vous avez compris quelque chose au résumé forcément trop succinct que je vous livre (qui pourrait résumer ce monument?), vous le voyez forcément. L’intrigue est un croisement de burlesque et d’invraisemblable, à tel point que même le héros n’arrive pas à y croire, ce qui n’aide pas le lecteur. L’aventure dans laquelle il est jeté malgré lui le pousse à visiter des lieux parfois déstabilisant, rencontrer des personnages souvent perturbant, et comble du comble, on l’attaque à chaque étape. Suivre l’intrigue et la comprendre en entier ? Oui, peut être, à la dixième relecture…
Mais alors pourquoi se brûler les neurones sur ce livre ? Parce qu’au delà d’une histoire à tiroirs, c’est un ouvrage fabuleux, nanti de personnages attachants, de dialogues savoureux où le cynisme et l’ironie se disputent la place. Une fois raccrochées au problème de paradoxe temporel, certaines situations impossibles prennent tout leur sens. Au milieu de ça, Heinlein sert à son lecteur quelques idées qui lui tiennent à cœur, notamment cette règle d’Or, qui fait que tout se paie un jour d’une façon ou d’une autre, un refus de distinctions raciales ou la primauté de la femme sur l’homme. « Femmes et chats n’en feront jamais qu’à leur tête ; les hommes et les chiens feraient mieux de se détendre, et de s’habituer à cette idée. »
Bref, tout brouillon ou confus qu’il puisse paraître, ce roman est un bijou qui se déguste sans faim, et c’est encore mieux s’il s’accompagne d’autres livres du même auteur, auxquels il est lié par la présence de personnages récurrents ou univers semblables… Les Enfants de Mathusalem, Révolte sur la Lune…
J’ai mis un 18/20 à ce livre (contre un 15/20 que j’aurais mis si j’avais noté dès la première lecture), il vaut le coup qu’on s’accroche pour le comprendre.
Un extrait :
« – Monsieur Sethos ?
– Hein ? Oui madame Novak ? Madame Ames.
– Avez vous commencé, dans la vie, en faisant le maquereau avec vos sœurs ?
Sethos prit une délicate teinte aubergine. Il parvint toutefois à se maîtriser assez pour demander :
– Madame Ames, est-ce que vous voulez délibérément m’insulter ?
– Cela me paraît évident, non ? J’ignore si vous avez des sœurs ; il me semble seulement que ce genre d’activité vous conviendrait parfaitement. Vous n’avez aucune raison de nous traiter ainsi. Nous venons vous voir pour que vous fassiez droit à nos doléances ; vous répondez par des faux-fuyants, des mensonges délibérés, des prétentions injustifiées… et un nouveau vol manifeste. Vous justifiez cette nouvelle indécence par un méchant discours sur la libre entreprise. Quel prix demandiez-vous pour vos sœurs ? Et combien preniez- vous de commission ? La moitié ? Davantage ?
– Madame, je vous demanderai de quitter mon bureau… et cet habitat. Nous ne souhaitons pas votre présence ici.
– Je serais ravie de partir, dit Gwen sans broncher, dès que vous aurez réglé mon compte. Et celui de mon mari.
– SORTEZ !
– L’argent d’abord, espèce d’escroc déplumé, répondit Gwen avec un geste de la main, paume en avant. L’apurement de notre compte, plus le dépôt de garantie versé à notre arrivée. Si nous quittons cette pièce sans être réglés, jamais vous ne serez quitte avec nous. Payez et nous partirons. Par la première navette pour Luna. Si vous appelez vos sbires, espèce de baratineur, je ferais crouler les murs sous mes cris. Vous voulez un échantillon ?
Gwen rejeta la tête en arrière et poussa un cri qui me fit mal aux dents. »