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Dans ma bibliothèque – Un petit voyage de cinq cent cinquante pages…

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Bonjour à tous. Il y avait très longtemps que je n’avais pas fait un petit article de lecture ici… En temps ordinaire, j’aurais pu avoir l’idée de pondre au mois de juin une petite liste de lecture-conseils pour l’été, pour ceux qui ont la chance d’être en congés (*hum*) mais non, malheureusement, je n’en ai pas eu le temps. A la place, je vais donc présenter un livre, en attendant d’avoir le temps, peut être, de revenir à un rythme plus régulier…

Le livre :
Publié chez Denoël en 2013, et aujourd’hui disponible aussi dans la collection de poche Folio, le Chemin des Dieux est un roman fantastique contemporain qui se déroule au Japon, et, pour reprendre une phrase toute faite qui, pour le coup, colle bien avec la situation, « entre modernité et tradition ».

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L’auteur :
Je ne connais pas cet auteur, et je n’ai pas réussi à mettre la main sur une biographie approfondie, nous nous contenterons donc des lignes concises des premières pages. Jean-Philippe Depotte, né en 1967 et d’origine lilloise, est un auteur de formation scientifique et touche-à-tout : inventeur, linguiste, producteur de jeux vidéo, il a écrit quatre livres, dont l’un a reçu le prix Masterton en 2012. Comme nous le prouve le roman d’aujourd’hui, c’est également un amoureux du Japon.

Mon avis :
J’aime mieux vous prévenir, je vais être dure avec ce livre, bien qu’ayant apprécié la lecture. D’abord parce que la culture japonaise, ce n’est pas mon fort le plus faible. Et quand je dis culture japonaise, je ne parle pas de manga ou d’animés. Je parle de mœurs, de traditions, de rituels, de divinités… Je connaissais cependant assez de choses pour ne pas me perdre dans le fil du récit.

Le narrateur est un français prénommé Achille. Douze ans plus tôt, il a quitté le Japon, où il vivait depuis quelques années, et dont il était près de se sentir natif de cœur. Un pays qu’il a laissé le cœur brisé par une femme et par la honte qu’il ressentait de ne pas être un vrai japonais, mais bien un étranger, un gaïjin, dont l’apparence physique le soumet au mépris presque raciste des locaux.  Et pourtant, douze ans après, un appel de son ami de l’époque, Francis, établi au Japon, le pousse à tout plaquer et user ses dernières ressources pour prendre l’avion immédiatement : Francis annonce le kidnapping de leur amie, Uzumé, la femme qui a hanté les rêves d’Achille et a brisé son cœur.
Cependant, une fois sur place, notre héros est désemparé : une catastrophe énergétique dont l’origine demeure inconnue frappe le pays, qui s’isole et se soumet à des restrictions de plus en plus drastiques. Uzumé, certes introuvable, n’a pas été enlevée, en revanche les journaux ressassent la disparition de la doyenne du pays. Et Francis s’est suicidé, abandonnant derrière lui femme, enfant, et surtout quelques maigres indices masquant un épais mystère.
Aidé d’une taxidermiste financée par un mécène aux opinions étranges et d’un jeune homme vouant un culte à Street Fighter et à Candy Girl, une jeune chanteuse à la mode, Achille entreprend de dénouer les nœuds de l’énigme…

Un mot sur la forme pour commencer : l’écriture est efficace, le style agréable à la lecture, l’ambiance est palpable, et que ce soit pour décrire la splendeur du Japon ou ses aspects les plus glauques, l’auteur ne cache pas sa passion pour le pays et la culture… Il rend le pays agréable à arpenter en même temps que son héros à travers la description des paysages et des traditions, notamment la grâce du geste. Et pour ce qui est du fond…
Le début du roman m’a paru assez lent à se mettre en place. Mais une fois prise dans l’intrigue et tous les éléments de cette dernière mis en place, j’ai pu prendre un réel plaisir à suivre l’action. Il y a de très bonnes choses dans ce livre, qui montrent une réalité de la vie japonaise actuelle, où la beauté côtoie parfois le danger, où au delà des néons et des écrans géants se cachent des gestes à la beauté millénaire, où les personnages de jeux vidéos sont de nouveaux dieux pris très au sérieux. J’ai eu bien du plaisir à voir repris le bon vieux paradoxe de Zénon d’Élée, dans sa version non résolue, plus philosophique que mathématique donc…
Et cependant, j’ai deux réserves de taille. La première est liée au héros : pour un amoureux de la culture japonaise, il est finalement très ignorant, et si j’ai mis à peine la moitié des pages à comprendre où le récit allait en venir, lui n’a réalisé ce qui se tramait autour de lui qu’au cours des derniers chapitres, et montré à plusieurs reprises son ignorance vis à vis d’une partie importante de la culture japonaise. Cela paraît peu crédible.
La second est liée à la fin : il y en avait plusieurs possibles, et cependant, si celle qu’a choisi l’auteur est pertinente, elle est pour moi la plus «facile ».
Je pourrais m’arrêter là dans mon explication, et j’en pense d’ailleurs en avoir dit assez pour que vous sachiez si ce livre vous fait envie ou non. Cependant, j’ai envie de donner plus de détails, parce que j’ai bien conscience d’avoir dit du mal de ce livre tout en l’ayant apprécié, et j’entends expliquer le paradoxe en justifiant plus en détail mes deux réserves.  Cependant, cela va m’amener à spoiler des passages. Donc, si vous ne voulez pas vous gâcher la surprise, interrompez la lecture ici, reprenez après le spoil (suivez les balises) et allez lire le livre avant de revenir à mon analyse.

/!\ début du passage de spoil /!\

La réalité de l’enquête menée par Achille fait intervenir plusieurs aspects de la mythologie japonaise et notamment la richesse de son panthéon. La fameuse crise énergétique traversée par le Japon trouve son origine dans une répétition du mythe au cours duquel la déesse solaire Amaterasu fuit les méfaits de son frère et rival et finit enfermée dans une caverne dont elle ne ressort que grâce à l’union conjuguée de plusieurs divinités menées par une déesse nommée Uzumé (faites vous le lien avec le résumé écrit plus haut ?), qui craignent l’obscurité liée à la disparition du soleil et souhaitent un retour de la lumière.
La vieille dame dont on relate l’enlèvement dans les médias presque dès le début du livre est Amaterasu, et Achille va côtoyer dans son périple de nombreux esprits, démons et dieux de la culture japonaise, qui vivent dans le Tokyo moderne auquel ils ont su s’adapter chacun à leur façon. Et pourtant, il ne voit rien : sa méconnaissance complète des traditions religieuses japonaises, et ses moqueries parfois méprisantes à l’encontre des superstitions, notamment celles de ses deux acolytes, le rendent aveugle à la réalité.

Et c’est ce qui m’a beaucoup gênée dans ce roman. L’auteur donne à travers son héros l’image d’un stéréotype occidental qui est, de part ses origines, forcément hermétique à la culture et aux cultes japonais, forcément incapable de comprendre même quand on lui apporte les preuves sur un plateau, et, en outre, enclin à se moquer de ce qu’il ne comprend pas. C’est à mon sens extrêmement réducteur, surtout de la part de quelqu’un qui semble éprouver une certaine passion pour le pays et sa culture. Et surtout quand on voit la fascination que le pays engendre chez beaucoup d’occidentaux aujourd’hui, qui sont sensibles même aux aspects de culture dont l’auteur pense qu’ils sont au contraire trop subtils pour un occident rustre et mal dégrossi.
L’idée d’un héros amoureux du Japon au point de pleurer le fait de ne pas être japonais, mais incapable de voir le défilé des déités et le déroulé du mythe qui se produisent sous ses yeux, alors que moi même, qui ne suis pas une experte, ai pu comprendre où se dirigeait l’histoire à mi lecture, montre quelque part qu’un des sous entendus de l’auteur sur la culture japonaise trop hermétique pour les non japonais est un cliché… Et c’est en cela que la fin est rendue facile, et donc décevante.

Incapable de supporter la vérité au goût amer qu’il a apprise lors du dénouement de ce mythe revu de façon moderne, et déçu à nouveau par sa propre nature d’étranger, qui ne sera jamais acceptée, par les japonais comme par lui même, Achille nous est laissé lors des dernières pages sur le point de se suicider, comme son ami Francis, en se pendant avec l’écharpe d’Uzumé… Pour moi, c’est une défaite trop rapide face à une situation qui n’est pas réaliste. Quelque soit le mépris que les japonais éprouvent (c’est, paraît-il, une réalité) pour les gaïjin dans leur ensemble, l’amour de leur culture ressenti par de nombreux étrangers est bien réel, et le considérer, finalement, comme sans valeur et sans résultat possible est terriblement réducteur. A tel point que si l’auteur n’était pas français, j’aurais presque pensé, j’espère à tort, qu’il est tout simplement raciste. Ce qui serait extrêmement triste et déplaisant.

/!\ fin du passage de spoil /!\

Bref, pour toutes ces raisons, je mets à ce livre la note de 13/20. Je le recommande cependant, parce que mon opinion rendue douce-amère par mon expérience de lecture a rarement été aussi subjective sur un livre, aussi n’hésitez pas à vous faire la vôtre.

Un extrait :
« Une jeune fille se tenait à l’entrée. Elle passa les plateaux à l’obscurité derrière elle, puis elle revint à son hôte en inclinant le buste.
« Cher client. Notre établissement est fermé.
– Je ne viens pas pour consommer.
– C’est heureux car nous n’ouvrons jamais en matinée. »
Son kimono de grandes fleurs joyeuses invitait à rester pour discuter un peu.
« Vous cherchez quelque chose ? » semblait-elle le taquiner.
Elle parlait les mains cachées dans les manches longues jusqu’au sol. Achille hésita parce qu’il ne savait pas vraiment ce qu’il cherchait.
« Distribuez-vous des pochettes d’allumettes avec un poème de Moritaké ?
– Peut être. Je ne connais pas l’auteur du poème.
Ganchô ya, Kamiyo no koto mo, Omowaruru.
– Oui, c’est cela ! »
Elle sourit. Achille remarqua le mouvement joyeux de ses orteils à travers le tissu blanc de ses chaussettes. Sur le pas de la porte en parquet de bois précieux, elle ne portait pas de sandales.
« Votre établissement se nomme l’Aube des dieux, n’est-ce pas ? Peut-on s’y reposer ? Y prendre un repas ?
– Le soir seulement. Veuillez repasser après dix-huit heures. »
Elle reculait déjà, une main sur la porte.
« Attendez. »
Elle revint au jour.
« Je…, balbutia Achille, je cherche Uzumé. La connaissez vous ?
– Uzumé-san ? Elle sera là dans la soirée, répondit-elle sans hésiter. Laissez votre carte. » »